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Article publié par Damien Gourbeyre, Data Advisory Manager chez Keyrus
Le phénomène ubérisation
Commençons par la base et décryptons le terme « ubérisation », concept né avec l’entreprise Uber. D’après l’étude des Echos «l’ubérisation est un phénomène maintenant bien établi qui se traduit par la pérennisation d’un nouveau modèle économique permettant grâce au digital de créer de nouvelles propositions de valeur, de rapprocher client final et producteur et de court-circuiter les intermédiaires classiques ». Les avancées technologiques dans le domaine digital (généralisation du haut débit, apparition des smartphones et de l’internet mobile, Big Data, Cloud et objets connectés) ont favorisé le positionnement des nouveaux acteurs au plus près du client final.
En plaçant les clients au centre de leur écosystème, ces acteurs ont compris que les clients ne cherchent pas forcément un produit, mais une solution à leurs besoins. Cette solution ne passe plus forcément par la possession d’un produit aujourd’hui. Elle peut bel et bien prendre la forme d’un service, si celui-ci s’avère rapide, abordable et de qualité. La notion d’usage prévaut sur la possession.
Quelques exemples pour illustrer le sujet : . l’hébergement en voyage ; . BlaBlaCar : les voyageurs ne cherchent pas des billets de train, mais une mobilité facile, accessible et abordable ; . Spotify ou Deezer : le besoin des consommateurs n’est pas d’acheter des CD mais d’écouter n’importe quelle musique à n’importe quel moment et à n’importe quel endroit.
L’ère du service orientée client (soigner l’expérience, comprendre ce qu’il cherche…) a pris le pas sur celle du service transactionnel (il faut vendre). L’ubérisation peut ainsi être vu comme une innovation ou une stratégie de rupture. En révolutionnant les usages, elle apporte à ses instigateurs une grande part de la chaîne de valeur sur tout ou partie d’un secteur en utilisant les nouvelles possibilités du numérique.
Si les nouveaux entrants se sont d’abord attaqués à l’économie des services, tels que les secteurs high tech, banque et assurance, dont l’offre était déjà dématérialisée, aujourd’hui aucun secteur d’activité n’est à l’abri de se faire disrupter. Car même des secteurs d’activité traditionnels et moins digitalisés, ou des segments hautement réglementés comme le domaine pharmaceutique, pourront voir leur position historique menacée par de nouveaux entrants. Ce n’est plus une question de « si un tel secteur se fera disrupter ou pas ». C’est une question de « quand ».
Aujourd’hui le danger ne vient pas forcément des entreprises actuellement identifiées comme nos concurrents sous le prétexte qu’elles produisent des biens ou des services substituables aux nôtres. Le danger peut venir d'entreprises qui ont une mission équivalente à la nôtre mais qui servent cette mission d’une manière radicalement différente, avec d’autres produits ou services. Parfois même leur mission est plus vaste, comme Amazon dont la mission a dépassé depuis longtemps la facilitation de l’accès à la culture.
En effet, pourquoi attendre qu’un nouvel entrant devienne incontournable pour réagir ? La meilleure défense, c’est l’attaque : créer un nouveau business disruptif en capitalisant sur le numérique. Plus aucune entreprise ne peut aujourd’hui s'estimer à l'abri d'une rupture. Comme écrit par Philippe Silberzahn dans son œuvre Relevez le défi de l’innovation de rupture : « Si les taxis, qui exercent leur métier dans le cadre d'un monopole concédé par l'État depuis plus d'un siècle, peuvent être menacés par une simple application chargée sur un téléphone mobile, tout le monde est menacé ». Les banques et les assurances ne sont pas en reste, même avec les contraintes réglementaires de leur secteur respectif, avec l’arrivée massive et rapide des Fintech et des Assurtech. « Qui sera le prochain uberisé ? ».
Pour une entreprise, une rupture présente à la fois une menace sur un business existant, mais également une opportunité pour créer de nouvelles activités, source de sa croissance future. Le terme auto-ubérisation prend ainsi tout son sens.
Du fait que la rupture nécessite un modèle d’affaires différent du modèle historique de l’entreprise, résulte un conflit entre les deux qui tourne souvent au désavantage du nouveau, encore non établi. Une solution préconisée par Clayton M. Christensen pour protéger l’innovation de rupture est dès lors de loger celle-ci au sein d’une structure autonome. En effet, mélanger le business existant et la démarche d’innovation de rupture est une erreur que commettent beaucoup d’entreprises, qui finissent donc par se limiter à des innovations peu ambitieuses qui ne représenteront pas une réponse à la hauteur de la menace de l’ubérisation, car dans le business existant :
. nous ne pouvons pas remettre en question les grands principes de notre business sans le mettre en danger, alors qu’innover en rupture c’est justement sortir de ces principes ; . nous sommes liés à nos clients actuels et au besoin de les satisfaire de façon continue, alors que le nouveau business peut signifier servir des clients déçus par l’offre existante et non pas se limiter aux clients les plus fidèles ; . nous n’avons pas droit à l’erreur, alors que dans une démarche d’innovation de rupture nous devons procéder par le test & learn.
La recommandation de créer le nouveau business dans une entité indépendante du business actuel prend tout son sens.
Quelques années après la prise de conscience des dirigeants des risques de disruptions majeures que leurs entreprises risquaient de subir, à cause de l’émergence des nouveaux entrants ou du rythme trop lent de leur transformation numérique, le paysage a considérablement changé. Après être passées par une phase de POC, les grandes entreprises organisent maintenant l’innovation et s’intéressent aux retours sur investissement.
Dans une étude récente commandée par la BPI au cabinet Five by Five, sur les relations des grands groupes avec les start-ups, 83% de leurs PDG se déclarent directement impliqués dans la stratégie d’ouverture de leur entreprise auprès des jeunes pousses. Ce pourquoi nous voyons depuis quelques années l’apparition de différents types de structures et modèles organisationnels pour la gestion de l’innovation : intrapreneuriat, incubation, excubation, essaimage, start-ups, acquisition… autant de nouveaux noms qui ont envahi le vocabulaire des organisations en quête d’une façon de créer de nouvelles sources de valeurs. Si une partie de ces modèles repose sur une innovation externe à l’entreprise (fonds d’investissement, acquisition…), l’autre partie va plutôt s’appuyer sur ses collaborateurs internes.
Cette deuxième catégorie a pour objectif de libérer les forces créatrices et générer de nouvelles sources de diversification de leurs activités, en s’appuyant sur des ressources, idées et autres actifs internes « dormants » ou non exploités. C’est aussi un moyen de faire évoluer sa culture, de développer de nouvelles compétences en interne (collaboration, créativité, leadership, pilotage de projets complexes, etc.), de fidéliser ses collaborateurs et d’en attirer de nouveaux qui y verront une vraie marque différenciatrice sur le marché de l’emploi.
Favoriser et cultiver l’esprit entrepreneurial apparaît donc comme un levier important et un nouvel enjeu pour les entreprises qui voudront développer en leur sein l’innovation.
Sources : Wikipedia contributors. Uberisation - https://fr.wikipedia.org/wiki/Uberisation Silberzahn, P. Relevez de défi de l’innovation de rupture. Préface d’Yves Dubreil. Pearce. Christensen, C., Raynor, M., & McDonald, R. (2016, 19 décembre). What Is Disruptive Innovation? - https://hbr.org/2015/12/what-is-disruptive-innovation