Article publié par Brune Behaghel & Clémence Houelbecq, Consultantes chez Keyrus Management Pour en savoir + sur Keyrus Management, rendez-vous sur ce lien.
Vous ne le saviez peut-être pas, mais l’égalité professionnelle a été déclarée grande cause du quinquennat par Emmanuel Macron. Belles paroles ? Depuis le 1er mars 2019, les entreprises françaises de plus de 1 000 employés sont obligées d’afficher une note sur les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes : c’est l’instauration de « l’index de l’égalité salariale femmes-hommes ».
Muriel Pénicaud, Ministre du Travail, et Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, ont retenu les critères suivants pour calculer cet index sous la forme d’une note sur 100 :
L’écart de salaire entre les femmes et les hommes /40 points
L’augmentation des femmes à leur retour de congé de maternité /15 points
L’égalité des chances face aux augmentations de salaires /20 points
L’égalité des chances dans les promotions accordées /20 points
La présence d’au moins 4 femmes dans les 10 plus hautes rémunérations de l’entreprise /10 points
Pour la première fois les entreprises ont un objectif de résultat, et non plus une seule obligation de moyens. Les entreprises ayant un score inférieur à 75/100 disposent d’un délai de 3 ans pour l ’atteindre, sous peine de sanctions financières pouvant aller jusqu’à 1% de la masse salariale. Elles devront mettre en place des actions correctives pour diminuer l’écart de rémunération, accorder des augmentations de manière équitable, mettre en place un vivier permettant d’assurer une juste représentation des deux sexes à la tête de l’entreprise, etc.
Cet index est indubitablement une avancée. Les critères de calcul de l’index affinent le sujet et incitent les entreprises à progresser dans ce domaine. Néanmoins, nous pouvons nous interroger sur l’efficacité de cette mesure quant au traitement des causes de ces inégalités salariales.
En effet, lorsque l’on étudie plus précisément cet indice, plusieurs points attirent l’attention :
Les disparités salariales sont gommées
dès lors que les salaires ont été ramenés à un équivalent temps plein. Les temps partiels, souvent subis par les femmes, et synonymes de salaires, d’indemnisations et de retraites faibles, sont donc rendus invisibles.
Filiale ou groupe ?
Il n’y a pas d’obligation de publication de l’index par filiale. Les grands groupes français peuvent ainsi publier des notes globales, ce qui peut potentiellement cacher des disparités de salaires au niveau des filiales.
Une note et après ?
Sur les 1400 grandes entreprises concernées, seules 700 environ ont rendu leur copie au 1
er
mars. Et sur cet échantillon, environ 15% sont en dessous du seuil des 75/100. Qu’en est-il des autres entreprises : n’ont-elles pas, pour autant, une marge de progression ?
Le barème peut être remis en question.
La présence des femmes au sein des instances dirigeantes est un critère qui ne pèse que pour 10 points sur 100. C’est pourtant l’un des axes sur lequel les entreprises françaises ont encore des efforts à réaliser.
montre que le taux de féminisation des comités exécutifs n’atteint que 15,6%.
Quelles solutions à ces problèmes ?
L’indicateur permet aux entreprises de s’évaluer, mais n’apporte aucune réponse concrète pour faire avancer les choses.
On le sait, les causes des inégalités salariales entre les femmes et les hommes sont avant tout sociologiques, et les entreprises seules ne peuvent éradiquer ce phénomène. Pour autant, dans leur propre intérêt, elles ne peuvent rester inactives face à cette injustice sociale.
En effet, l’un des principaux facteurs d’engagement des salariés étant l’équité et la juste reconnaissance du travail, la moitié de la population active (les femmes) ne peut être laissée pour compte dans un contexte où les enjeux économiques sont toujours plus forts. De plus, la pénurie de talents et de travailleurs qualifiés dans certains secteurs devrait pousser les entreprises à se montrer imaginatives pour attirer et fidéliser les femmes qui disposent des compétences recherchées.
Plus concrètement, les entreprises peuvent :
Mettre en place des systèmes d’évaluation
des compétences, de rémunération et de promotion qui se basent sur des critères objectifs ;
Sensibiliser les salariés et les managers
contre les stéréotypes et sur la communication verbale et non verbale sexiste ;
Favoriser un meilleur équilibre temps de travail / vie personnelle
des femmes, mais aussi des hommes, pour qu’ils aient la possibilité de s’investir davantage dans leur vie familiale s’ils le souhaitent ;
Mobiliser les acteurs du dialogue social
de manière positive sur le sujet ;
Accompagner les salariés en cas de besoin spécifique
(ateliers sur la confiance en soi et l’assertivité pour les femmes et les hommes, mentoring pour favoriser et accompagner les prises de poste des femmes à des postes clés, etc.)
De nombreuses entreprises mènent déjà ce type d’actions avec des résultats souvent intéressants, en tout cas dans la durée : c’est tout un système de pensée qu’il s’agit de faire évoluer de manière volontariste, et cela prend plusieurs années.
Ainsi, même si cette problématique est avant tout un sujet d’évolution des mentalités qui ne peut se résoudre à court terme, des actions concrètes peuvent être mises en place dès aujourd’hui au sein des entreprises. Les femmes ne sont d’ailleurs pas les seules concernées, il s’agit bien de toute la société : les impacts économiques et les enjeux de pénurie et de rétention des talents se font de plus en plus ressentir.
Nous sommes tous responsables et chacun d’entre nous peut agir à son niveau, en tant que citoyen, entrepreneur, dirigeant ou salarié, afin de ne pas attendre l’année 2186 pour obtenir l’égalité salariale, comme le prévoit le Forum économique mondial (extrait de l’étude parue en 2017 : « Given the continued widening of the economic gender gap, it will now not be closed for another 217 years »).