Dans l'univers de la Data et de l'IA, certaines expressions prolifèrent à grande vitesse, colonisant les pitchs commerciaux, les articles de blog et les présentations marketing. Derrière ces termes séduisants se cachent souvent des promesses grandiloquentes qui peinent à se concrétiser.
En effet, les buzzwords sont autant des outils de communication que des pièges pour les non-initiés. Ils répondent à une double logique : séduire des décideurs avec des promesses grandioses et masquer les limites techniques des solutions actuelles. Si certains termes sont simplement exagérés, d’autres relèvent presque de la mystification.
Cependant, ce phénomène a un effet positif : il pousse à poser des questions critiques. Derrière chaque buzzword se trouve une vraie problématique, un défi technologique ou organisationnel à résoudre. Ainsi, même les concepts les plus absurdes peuvent servir d’inspiration pour réfléchir à des solutions réalistes.
Alors, avant de succomber au prochain Deep Learning Quantique, souvenez-vous : tout ce qui brille n’est pas or, et dans le monde de l’IA, tout ce qui est vendu comme révolutionnaire n’a souvent rien de magique.
Voici un décryptage des buzzwords et concepts qui, sous des dehors spectaculaires, méritent un peu de recul...
1. « IA révolutionnaire » – Tout le monde promet une IA « révolutionnaire », mais dans les faits, il s’agit souvent d’un modèle statistique basique déguisé sous une interface graphique colorée. Si l’adjectif « révolutionnaire » évoque des changements radicaux et durables, il est ici utilisé pour emballer des technologies bien rodées depuis des décennies. L’ironie ? Ces solutions sont parfois utiles, mais l’enrobage commercial exagéré finit par décrédibiliser le produit.
2. « Intelligence Artificielle Générale 2.0 » – Quand un simple chatbot devient « IAG 2.0 », c’est le triomphe des commerciaux sur la réalité. L’intelligence artificielle générale, cette chimère de l’IA capable de tout faire, n’existe toujours pas, et l’ajout d’un « 2.0 » n’y change rien. Dans le meilleur des cas, on obtient un GPT légèrement optimisé ; dans le pire, un robot qui peine à aligner deux phrases.
3. « Solution data-driven holistique » – Ce terme semble promettre une vision globale et éclairée des données. Mais dans la plupart des cas, il désigne un tableau Excel avec quelques graphiques automatisés. L’adjectif « holistique » est un écran de fumée : les solutions sont souvent aussi segmentées que les données elles-mêmes, et les promesses d’une approche globale restent au stade du discours. Cette description superficielle rappelle les objectifs ambitieux de la Data Fabric, qui vise effectivement une approche intégrée, mais avec des capacités technologiques réelles.
La Data Fabric, en revanche, est une infrastructure complexe qui connecte, intègre et gouverne les données de manière intelligente dans des environnements distribués. Elle utilise des technologies avancées comme l’automatisation, l’intelligence artificielle et l’interopérabilité des systèmes pour fournir une vue unifiée et accessible des données. C’est bien plus qu’un tableau de bord avec des moyennes. Bref, c’est un peu magique. Mais ne nous croyez pas sur parole. Parcourez Data Fabricadabra et faites-vous votre propre opinion.
4. « Deep Learning quantique » – La combinaison du « quantique »et du « deep learning » est irrésistible pour impressionner en réunion. Mais la réalité est bien moins glamour : il n’existe pas encore d’algorithme fonctionnel combinant efficacement ces deux technologies. C’est le parfait exemple de bullshit marketing : une phrase qui fait rêver mais que personne ne comprend, pas même ses créateurs.
5. « Meta-IA auto-apprenante » – Promettre une « IA qui apprend à apprendre » semble alléchant, mais dans les faits, il s’agit souvent de règles simples mises à jour manuellement. Le terme « auto-apprenant » n’est là que pour masquer le fait que l’intervention humaine reste centrale. En réalité, ces systèmes « auto-apprenants » nécessitent souvent plus de maintenance que des modèles classiques.
Il y a toutefois des exceptions notables. On pense notamment à Auto-insight, l'un des modules phares de la suite Alteryx, qui illustre particulièrement bien les bénéfices de l'intégration des capacités d'IA générative au sein des processus analytiques métier. Cet outil permet en effet de générer de manière entièrement automatisée des cas d'usage d'analyse pertinents et contextualisés, sur la base de simples invites ou promptsrenseignées par l'utilisateur. Le sujet vous intéresse ? Lisez IAnalyse pour tous.
Cela reflète aussi, dans une version amplifiée, certaines aspirations des outils MLOps, comme la gestion automatisée des pipelines, la mise à jour des modèles et leur déploiement continu.
Cependant, le MLOps réel ne prétend pas offrir une IA autonome ou totalement auto-gérée. Il s'agit d'une méthodologie et d'un ensemble d'outils visant à industrialiser le développement, la maintenance et la supervision des modèles de machine learning. Le MLOps s'appuie sur des pratiques comme le CI/CD (intégration et déploiement continus) et la surveillance active, mais nécessite encore une intervention humaine substantielle pour gérer les biais, valider les résultats et superviser les modèles en production. Vous souhaitez mieux appréhender ce sujet ? Lisez, que dis-je, dévorez MLOps Standardisez vos workflows de Machine Learning
6. « Zero-shot everything » – Le « zero-shot learning », capable de fonctionner sans données d’entraînement, est une avancée prometteuse… sur le papier. Dans la pratique, il s’effondre dès qu’on sort des exemples triviaux. La promesse de tout résoudre sans préparation est séduisante, mais elle repose sur des résultats anecdotiques, souvent loin des défis réels des entreprises.
7. « AGI-ready infrastructure » – Être « prêt pour l’intelligence artificielle générale » est une promesse vide quand l’IAG elle-même n’existe pas. Derrière cette expression, on trouve souvent une infrastructure standard comme un serveur AWS. Ce type de discours exploite la fascination pour l’IAG tout en proposant des solutions sans lien direct avec cette technologie hypothétique.
8. « Real-time hyper-automation » – Ce terme sonne comme la promesse d’une efficacité sans précédent. Mais en réalité, il désigne souvent des scripts batch exécutés pendant la nuit. Le « temps réel » devient une notion élastique : 24 heures ou plus, tant que cela impressionne le client…
9. « Self-healing data » – L’idée que les données puissent « se réparer » d’elles-mêmes est séduisante, mais la réalité est bien plus simple : des règles de validation basiques appliquées à des ensembles de données. Et bien sûr, une équipe de data engineers est toujours requise pour maintenir ces règles. En même temps ils sont plutôt sympas les data engineers ! En revanche, la data observability ne prétend pas résoudre automatiquement les problèmes de données ; elle se concentre sur la visibilité, la traçabilité et la qualité des données. Elle fournit des outils pour identifier les problèmes, analyser leur origine et les résoudre efficacement, souvent avec un effort humain substantiel. Curieux d’en savoir plus ? LisezObservability is the new hype.
10. « Emotional AI 2.0 » – Promettre une IA qui « comprend vos émotions » semble futuriste, mais la réalité est souvent limitée à des analyses d’émojis dans des messages. Avec une précision de 50 %, ces systèmes sont plus proches d’un jeu de pile ou face que d’une véritable révolution émotionnelle.
11. « Data lake quantique » – Si le « data lake » est déjà un concept flou pour beaucoup, l’ajout de « quantique » ne fait qu’ajouter de la confusion. Souvent utilisé pour impressionner en réunion, ce terme n’a aucun fondement technique solide et reste un exemple parfait de jargon sans substance.
12. « Blockchain AI synergy » – Associer la blockchain à l’IA crée un cocktail irrésistible pour lever des fonds, avis aux amateurs... Mais dans la plupart des cas, ces deux technologies sont mal adaptées l’une à l’autre, et les cas d’usage concrets sont quasi inexistants. Malgré la toute petite littérature trouvée que nous avons épluchée, rien ne nous a convaincus.
13. « Metaverse analytics » – Le « Metaverse » est la nouvelle frontière des buzzwords, et y ajouter « analytics » ne fait que recycler des outils existants comme Google Analytics. Sous ce nouveau nom, on retrouve souvent des solutions identiques, mais à un prix nettement supérieur.
14. « AI-powered digital twin » – Créer des « jumeaux numériques propulsés par l’IA » semble fascinant, mais ces répliques virtuelles sont souvent limitées à des visualisations en 3D sans réelle utilité opérationnelle. Leur maintenance complexe dépasse de loin leur bénéfice supposé.
15. « Quantum-edge computing » – Le concept de « quantum-edge » est encore plus abstrait que les autres termes de cette liste. Personne ne sait réellement ce que cela signifie, et aucun cas d’usage concret ne semble exister. Pourtant, les budgets associés sont souvent pharaoniques. Mais sont-ils vraiment investis/dépensés ?
16. « No-code AI platform » – L’idée d’une plateforme d’IA accessible à tous est séduisante, mais dans les faits, ces outils sont limités et nécessitent souvent du code pour aller au-delà des fonctionnalités de base. Ce paradoxe oblige les utilisateurs à faire appel à des experts, contredisant la promesse initiale. Enfin, pas tout à fait… Pour vous faire un avis plus nuancé sur cette question, nous vous recommandons la lecture de l’excellentissime Innovaction : L'ère du low-code/no-code.
17. « AI-first data quality » – Les solutions qui promettent une qualité des données « pilotée par l’IA » finissent souvent par introduire plus d’erreurs qu’elles n’en corrigent. Résultat : les équipes doivent doubler leurs efforts pour nettoyer à la fois les données et les erreurs générées. Bon, d’accord. Ce n’est pas entièrement vrai. Mais les résultats ne sont pas ouf, on ne va pas se mentir !
18. « Autonomous data governance » – La gouvernance des données « autonome » est une promesse alléchante, mais elle repose souvent sur des check-lists automatisées incapables de gérer des cas complexes (comprendre incapable de gérer les situations de la vie réelle). Déjà que nous, les humains, nous peinons à gérer le réel, l’autonomie totale est encore un idéal lointain.
19. « Ultra-smart data catalog » – Ces catalogues de données promettent une indexation intelligente mais se résument souvent à une recherche textuelle basique. Leur maintenance, loin d’être automatisée, devient une charge supplémentaire pour les équipes, qui ne nous disent pas merci.
20. « Self-service analytics for all » – L’idée de rendre l’analyse accessible à tous dans une organisation est admirable, mais dans les faits, ces outils sont souvent trop complexes pour les non-spécialistes. Résultat : une surcharge de travail pour les équipes IT, qui doivent former et assister les utilisateurs, qui en redemandent, vous pensez bien !
Néanmoins, avec cette promesse résonne l'idée d'améliorer les capacités des analystes métier grâce à l'intégration de technologies comme l'IA générative dans une plateforme comme Alteryx, qui ressemble à une version crédible et aboutie de ce que le self-service analytics aurait toujours dû être : IAnalyse pour tous semble adresser les défis pratiques et organisationnels de manière réaliste, avec un accompagnement (par Keyrus) pour en maximiser les bénéfices.
21. « Bio-inspired neural networks » – Bernard Minet, sors de ce cerveau ! L’idée que des réseaux neuronaux puissent s’inspirer de la biologie semble séduisante, mais dans la pratique, cela revient souvent à recycler des idées déjà explorées dans les années 1980. Bien que ces approches aient parfois des applications intéressantes, elles ne tiennent pas leurs promesses révolutionnaires et sont souvent dépassées par des méthodes plus modernes. Le label « bio », qui évoque une image écolo ou naturelle, ne sert ici qu’à rendre le concept plus attractif (auprès des dupes).
22. « Explainable AI 3.0 » – La promesse d’une intelligence artificielle capable d’expliquer ses décisions est essentielle pour renforcer la confiance des utilisateurs. Mais « Explainable AI 3.0 » n’est qu’un slogan commercial pour masquer des limites encore importantes : les explications générées sont souvent vagues, imprécises ou même erronées. Cela crée un paradoxe : une IA censée être transparente mais qui ajoute de la confusion, rendant son adoption encore plus difficile.
23. « Green AI computing » – Alors que la durabilité est un sujet majeur en 2025, le terme « Green AI Computing » est un exemple frappant de greenwashing technologique. Les entreprises ajoutent un logo vert ou revendiquent une consommation énergétique réduite sans réelle preuve. Dans de nombreux cas, l’impact environnemental reste inchangé, voire augmente avec la montée en puissance des infrastructures nécessaires à l’IA. Pourtant, les enjeux sont réels… Afin de mieux les cerner et mieux les maîtriser, laissez vous guider par Faire écho à la conception durable et Génération durIAble.
24. « AI-generated code review » – Une IA qui fait la revue de code semble être une idée prometteuse, mais en pratique, un esprit chagrin affirmerait que ces outils se limitent souvent à détecter des erreurs superficielles comme des fautes de syntaxe ou des points-virgules manquants. Pour les développeurs expérimentés, ces outils apportent peu de valeur, et pour les débutants, ils ne remplacent pas une compréhension profonde du code. Une innovation intéressante, mais pas la panacée...
25. « Sentient data platforms » – Le concept de plateformes de données « sentientes » capables de prendre des décisions seules, semble tout droit sorti d’un film de science-fiction. En réalité, ces solutions se limitent à des automatisations basiques, comme des triggers SQL. Le marketing autour de ce concept dépasse largement ses capacités réelles, laissant les entreprises frustrées face à des promesses irréalistes. Pour autant, le mouvement est en marcha, et cela ouvre des perspectives sur un sujet connexe : la conscience artificielle. Et on ne peut pas rigoler avec ce sujet, alors saisissez-en tous les contours en lisant Chat-Geppetto - Façonner la Conscience Artificielle ; vous n’allez pas en revenir !
Ces expressions montrent que dans le domaine de l’IA et de la Data, le jargon peut facilement prendre le pas sur la substance. Derrière des promesses séduisantes se cachent souvent des réalités plus modestes.
Mais si ces buzzwords vous font lever un sourcil, sachez que derrière ce jargon se cachent parfois des intentions nobles. L'astuce est de dénicher la perle rare au milieu de ce charabia. Ces termes ne sont pas toujours de simples gadgets commerciaux ; ils traduisent un besoin bien réel de rendre des concepts complexes plus digestes et attrayants.
Pour naviguer dans ce paysage saturé, il est essentiel de garder un œil critique et de poser des questions directes sur les fonctionnalités et les résultats concrets. En tant qu'utilisateur averti, posez des questions précises et cherchez les résultats tangibles derrière ce fatras. Après tout, même si l'IA est impressionnante, elle ne fait pas encore de miracles... du moins, pas sans un bon café !
Cet article a été repris par Stratégies : « Data et IA : halte au bullshit, place aux (nobles) intentions ! »