Article publié par Sophia Amrani Joutey, Consultante Senior chez Keyrus Management Pour en savoir + sur Keyrus Management, rendez-vous sur ce lien.
L’intelligence artificielle ou IA est un sujet qui fascine autant qu’il effraie. Sujet à débat dans l’ensemble des sphères de la société, il vient à questionner la stabilité des emplois dans tous les secteurs de l’économie.
Les théories à ce sujet sont diverses et peuvent en effrayer plus d’un. Les scénarios catastrophes de fictions actuellement en vogue (Trepalium ou encore Black Mirror) nous prédisent un monde bientôt gouverné par une IA, où peu d’entre nous s’en sortiront indemnes. Mais qu’en est-il réellement aujourd’hui ? Devons-nous véritablement craindre d’être remplacés dans un avenir proche ou plutôt nous réjouir de ces évolutions spectaculaires ? L’IA sera-t-elle notre alliée en entreprise ou plutôt une rivale de taille contre laquelle nous n’avons aucune chance ?
Le terme « intelligence artificielle » (AI ou Artificial Intelligence, en anglais), créé par John McCarthy, désigne « toute activité intellectuelle pouvant être décrite avec suffisamment de précision pour être simulée par une machine ». Ce terme désigne donc l'élaboration de programmes informatiques capables de prendre en charge des tâches réalisées généralement par des humains car elles requièrent apprentissage, organisation de la mémoire, raisonnement et rationalité.
Pour simuler ces facultés mentales, l’IA s’appuie généralement sur les applications du « deep learning » et du « machine learning », ou « apprentissage automatique » reposant sur le big data. L’alimentation de ces programmes par des quantités astronomiques d’informations permet d’analyser et de mettre en évidence des corrélations conduisant à résoudre des problèmes complexes, voire à prédire les implications futures découlant d’une situation donnée. Comment se traduisent alors ces applications de l’IA sur le terrain de l’emploi ?
L’IA touche aujourd’hui plusieurs domaines d’activité comme la finance, le droit, les ressources humaines et divers secteurs comme l’automobile, la médecine, ou encore le transport avec des exemples d’application concrets.
Sur le marché de l’automobile, l’IA favorise les ventes et assure plus de sécurité : Renault en Inde a mis en place une IA permettant d’analyser les visites des clients sur une période donnée afin de mieux identifier leurs besoins, boostant ainsi les ventes de l’entreprise. Nexyad a développé un logiciel pouvant analyser par un calcul en temps réel le risque que prend le conducteur permettant de prévenir les accidents sur la route.
Dans la santé, l’IA réhumanisera le travail du médecin et réduira les délais d’attente : En médecine, c’est la révolution du diagnostic grâce à la forme la plus aboutie de l’IA : l’apprentissage de la machine par la reconnaissance d’images. Cardiologs, par exemple, est un outil qui détecte les anomalies d’une courbe d’électrocardiogramme. Therapixel est un programme qui interprète les mammographies conduisant à détecter plus précocement un problème et à réduire les fausses alertes. Ainsi, ce type de technologie permettra à terme de fiabiliser les diagnostics, de réduire les temps d’attente des patients (notamment dans les déserts médicaux) et de recentrer l’activité du thérapeute sur l’accompagnement du malade.
Dans le domaine des RH, les chatbots ne laissent personne sur le bord du chemin : Pour pallier le manque de temps et mieux cerner les profils des candidats, des chatbots aident à mieux identifier les "talents", à faire le tri dans les CV, à repérer des compétences sur les réseaux sociaux, ou encore à dialoguer en amont avec les candidats. Grâce à Seedlink par exemple, l’Oréal a permis d’automatiser le processus de pré-sélection des 1 million de candidats qui postulent chaque année. Cela en « déterminant l’adéquation culturelle et les aptitudes du candidat pour le poste via une analyse sémantique », explique Jean-Claude Le Grand, DRH de l’Oréal. Ainsi, des candidats qui n’auraient pas passé la première barrière de sélection sur le seul critère du classement de leur école, ont pu être recrutés au Royaume-Uni.
Ces quelques exemples parmi une multitude existant déjà aujourd’hui peuvent amener à penser que l’être humain sera bientôt obsolète face à la machine : plus rapide, plus précise et plus productive.
Le changement lié à l’automatisation du travail par l’IA aura d’ailleurs sans aucun doute lieu qu’on le veuille ou non. Mais comme l’a affirmé dans les années 1930 l'économiste John Maynard Keynes, « une réaction à une nouvelle technologie ne devrait ni assumer la fin du monde ni refuser de reconnaître que ce monde a changé ». Les impacts potentiels sur le marché du travail ne sonnent pas forcément la fin de l’emploi ni la précarité pour tous, mais des changements potentiellement majeurs dans les fonctions de l’entreprise.
Dans une étude publiée par le cabinet McKinsey, 830 positions en entreprise ont été analysées sur la base d’une liste de 25 compétences englobant l’ensemble des fonctions présentes dans l’économie. Ce modèle d’analyse ne consiste d’ailleurs pas à diviser les métiers entre « remplaçables » et « non remplaçables » mais plutôt à les placer sur une grille de potentiel d’automatisation.
Il en résulte que la quasi-totalité des fonctions en entreprise présente un ratio plus ou moins élevé d’automatisation potentielle. Mais uniquement 5% d’entre elles pourraient être totalement automatisables. La fonction comptable présente notamment un fort potentiel d’automatisation grâce aux applications de la « robotic process automation » (RPA) en entreprise. D’autres fonctions, en revanche, semblent plus hermétiques à l’IA, notamment celles qui requièrent un nombre important d’interactions humaines. Ainsi, l'analyse a révélé que 25% des tâches d'un poste de PDG pourraient être automatisées. Celui-ci ne consacrera plus autant de temps à analyser des rapports si l'intelligence artificielle peut tirer des conclusions plus efficacement, lui laissant alors plus de temps à passer auprès de ses équipes. D’ailleurs, si vous voulez avoir une idée du potentiel d’automatisation de votre fonction, allez donc jeter un coup d’œil sur le site : willrobotstakemyjob.com.
Anticiper
Aujourd’hui, l’IA en est tout de même à ses prémices. Afin d’éviter de subir la transformation de notre univers professionnel plutôt que d’en tirer les meilleures opportunités, il est nécessaire d’en anticiper les effets. C’est d’ailleurs le principal enjeu de cette révolution technologique induite par l’IA.
En premier lieu pour le moyen et court terme, le rôle des politiques est prépondérant. Il faudra analyser la situation, encadrer le changement par des lois qui devront prendre en compte la dimension éthique de cette transformation et créer des dispositifs qui l’accompagnent comme le suggère Cedric Villani (mathématicien et homme politique français), dans son rapport sur l’IA remis en mars 2018.
En second plan et sur le long terme, les chercheurs des universités et les institutions créées à cet effet doivent contribuer à l’étude d’impacts de l’IA et surtout œuvrer à la refonte du système éducatif afin de préparer les populations à ces changements. L’université de Stanford a d’ailleurs lancé une étude intitulée, AI100 : 100 ans d’étude sur l’intelligence artificielle, proposant de poursuivre sur un siècle une analyse permettant d’examiner et d’anticiper les effets de l’IA sur tous les aspects de la société et de l’économie.
Enfin, le travailleur lui-même a son rôle à jouer. Comme nous y invite Andrew McAfee (co-directeur du “MIT Initiative on the Digital Economy”) lors de son TED Talk intitulé « What will future jobs look like ? », il faut se mettre à la recherche d’un travail multidimensionnel, apprendre à être plus flexible et rester ouvert aux changements de carrière tout en participant activement à la politique pour impacter les lois permettant un changement positif plutôt qu’un écart grandissant entre les nantis et les démunis.
S’adapter
« Notre génération a hérité de plus d’opportunités de transformer le monde que tout autre. C’est un motif d’optimisme, mais seulement si nous sommes conscients de nos choix », affirment Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee, du MIT.
Cet héritage ne pourra être correctement exploité qu’avec la collaboration de l’entreprise, des gouvernements et des travailleurs.Afin d’en faire le meilleur usage, plusieurs pistes d’action sont proposées. En voici donc quelques-unes suggérées par Joël de Rosnay, scientifique, prospectiviste, conférencier et écrivain français :
Développer les SPOCS (Small Private Online Courses) et la formation continue ;
Créer de la coéducation transgénérationnelle ;
Transformer les modes de management (MBWA : Management by walking arround) pour favoriser la fluidité, la créativité et l’interactivité entre les gens ;
Promouvoir des systèmes innovants en encourageant la recherche, l’entrepreneuriat et l’intrapreneuriat ;
S’accoutumer aux nouveaux systèmes dotés d’IA pour en faire le meilleur bénéfice.
Collaborer avec l’IA
« L’homme est lent, peu rigoureux et très intuitif. L’ordinateur est super rapide, très rigoureux et complètement con », affirme Gérard Berry, informaticien et professeur au Collège de France. Ainsi, l’homme et la machine semblent faits pour s’entendre.
Mais blague à part, la complémentarité homme/machine se traduit aujourd’hui dans plusieurs domaines comme on l’a vu plus haut dans les exemples d’application. L’intérêt de cette complémentarité réside d’ailleurs dans le fait que les machines dotées d’IA semblent débarrasser le travailleur de tâches complexes, répétitives et peu stimulantes tout en lui permettant d’augmenter sa productivité. Ainsi, l’équation parfaite résultant de cette collaboration serait comme le rapporte Laurence Devillers dans son livre Des robots et des hommes que : « les métiers nécessitant empathie, variabilité et créativité resteraient le lot des humains et les métiers pénibles, dangereux et répétitifs seraient remplacés par des machines ». Dans cette perspective, il sera alors nécessaire pour l’entreprise de développer sa capacité d’acquérir de nouveaux talents, et pour la sphère éducative de permettre à l’humain d’apprendre toute sa vie durant.
Pour conclure, l’être humain sera en grande partie responsable de la place que prendra l’IA en entreprise. Il se doit d’être acteur de son destin. Certes, la puissance mathématique des machines est, depuis un certain temps, largement supérieure aux capacités mentales d’un humain, mais c’est sur l’intelligence multicanal mêlant savoir, ouïe, odorat et gestuelle que repose le génie humain, irremplaçable par la machine, et qui doit donc être cultivé et sublimé par l’apprentissage et l’éducation.